Loi Duplomb : La députée Sabine Thillaye revient sur les enjeux qui se sont cristallisés autour du vote
Alors que le Conseil constitutionnel a censuré partiellement, dans une décision du 7 août 2025, la loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, supprimant sa disposition la plus contestée sur la réintroduction de l’acétamipride, la députée de la 5ème circonscription d’Indre-et-Loire, Sabine Thillaye, revient sur les contours de son adoption.
Quel est, selon vous, l’apport majeur de la loi Duplomb dans la législation française ? Pourquoi cette loi s’est-elle avérée nécessaire ?
La 5ème circonscription d’Indre et Loire, dont je suis députée, est largement rurale et est composée pour l’essentiel d’exploitations agricoles familiales avec beaucoup d’arboriculteurs. Ce sont eux que je suis allée voir, pour comprendre la réalité du terrain et voir comment ils peuvent mieux vivre de leur travail. Tous m’ont fait part de l’impasse dans laquelle ils se trouvent : ils sont contraints de mettre en place des actions pour parer à l’interdiction de certains produits, actions qui, en plus du coût qu’elles représentent, sont moins efficaces d’un point de vue agricole, et discutables d’un point de vue écologique.
La réintroduction encadrée de l’acétamipride que proposait ce texte n’est pas une solution d’avenir, les agriculteurs le savent. Mais elle répond à une situation d’urgence qui menace nos filières, dans un contexte de concurrence déloyale dès lors que les agriculteurs des pays voisins ne sont pas soumis aux mêmes règles.
Pouvez-vous lister les arguments pour lesquels vous avez voté pour l’adoption de cette loi ? Aviez-vous toutefois des arguments contre ?
En tant que députée, je dois prendre en compte toutes les problématiques, environnementales et économiques. Ce qui m’a décidé à voter cette loi, d’une part c’est le besoin absolu qu’en avaient nos agriculteurs, et d’autre part le cadre restrictif qu’elle pose.
Par ailleurs, l’interdiction de l’acétamipride, dès lors que l’ensemble des autres pays européens ont autorisé ce produit, pose la question de la concurrence économique. Voulons-nous aller jusqu’à « tuer » nos propres filières tout en important des produits traités à l’acétamipride?
De mon côté, j’étudie la faisabilité de trois sujets au niveau européen, car c’est à ce niveau que les choses doivent évoluer :
La possibilité d’interdire l’accès au marché français aux produits traités à l’acétamipride, pour mettre fin à une concurrence défavorable à nos agriculteurs.
Peser pour qu’au niveau européen en 2033, l’acétamipride soit interdit.
L’intérêt qu’il y aurait à mieux utiliser et coordonner les agences sanitaires nationales européennes, afin de renforcer le travail de l’EFSA, l’autorité européenne chargée des autorisations de mise sur le marché des pesticides.
Y a-t-il eu une participation scientifique aux débats à l’Assemblée nationale ? N’y a-t-il pas un écart entre les données scientifiques disponibles (le Conseil national de l’ordre des médecins a pris position dans un communiqué du 30 juillet 2025 en affirmant qu’il n’existe pas de doute quant au fait que les pesticides sont « susceptibles d’exposer la population à des risques majeurs : troubles neurodéveloppementaux, cancers pédiatriques, maladies chroniques ») et les décisions législatives ?
En matière législative, c’est lors du travail préalable en Commission que sont menées les auditions, qui permettent de retravailler le texte avant qu’il n’arrive en séance.
En ce qui concerne la loi Duplomb, elle est passée par la Commission des affaires économiques et la Commission de développement durable. Il y a bien évidemment eu une participation des scientifiques aux débats en Commission.
Dans les deux rapports réalisés par l’Anses en 2018 et 2021, d’autres insecticides ont été identifiés comme des alternatives à l’acétamipride « aux impacts limités sur l’environnement et rapidement substituables aux néonicotinoïdes ». Savez-vous pour quelles raisons ces alternatives n’ont pas été envisagées par les défenseurs de la loi Duplomb ?
S’il existait des alternatives satisfaisantes, les agriculteurs s’en saisiraient!
C’était bien le sens du texte que de limiter les dérogations aux situations d’impasse, c’est à dire en l’absence d’alternatives.
Mais il faut comprendre que les alternatives qui fonctionnent pour des exploitations axées sur une certaine culture ne vaudront pas nécessairement pour d’autres exploitations. Je reviens ici aux agriculteurs de ma circonscription : on ne parle pas de groupes agro-industriels. Ces agriculteurs-ci ne demandent qu’à disposer d’alternatives crédibles. Ils n’ont pas attendu la prise de conscience écologique généralisée pour investir la question écologique.
Pensez-vous que le principe de participation du public devrait être renforcé en matière d’autorisation des pesticides ?
Oui, le citoyen devrait toujours avoir un droit de regard mais à condition de prendre connaissance au préalable de tous les paramètres comme les avis scientifiques, les impacts environnementaux et économiques.
Puis il faut rappeler que beaucoup de citoyens ont un bon levier de participation quand il s’agit d’écologie et d’agriculture : le porte-monnaie. Notre façon à nous tous de consommer, n’est-ce pas la façon la plus claire et la plus efficace d’exprimer une position et d’agir d’une manière responsable ?
Quel regard portez-vous sur l’utilisation de la motion de rejet préalable par les défenseurs de la loi ? L’utilisation de cette procédure n’est-elle pas contraire à l’esprit du texte (article 91 al 5 du Règlement de l’AN) ? (En votant la motion de rejet préalable, le texte de loi est passé devant la Commission mixte paritaire sans débats ni amendements possibles).
C’est discutable, mais nous étions arrivés à une situation de blocage, du fait du dépôt de milliers d’amendements par certains dont le but était d’empêcher le débat. Pendant ce temps, nos agriculteurs attendaient des réponses à très court terme.
Ce que je regrette, c’est de voir combien, de plus en plus, les outils juridiques qui sont à notre disposition pour faire avancer les débats, sont détournés de leur vocation, et transformés en armes politiques.
Pensez-vous qu’une transition agroécologique soit possible en France ?
Oui, une transition agroécologique est possible, à condition que l’on arrête l’agri bashing, que chaque citoyen agisse individuellement en responsabilité. Les entreprises, car une exploitation agricole est aussi une entreprise, doivent certes être soumises à des obligations, mais dans un environnement de concurrence loyale.
C’est une nécessité pour les générations futures : nous ne pouvons pas fermer les yeux sur la dette environnementale.
Le député Laurent Duplomb n’exclut pas le dépôt d’une nouvelle proposition de loi pour réintroduire l’acétamipride en tenant compte des conditions énoncées dans la décision du Conseil constitutionnel du 7 août dernier. Si une telle loi devait être déposée, quelle serait votre position sur son adoption ?
Ce sujet doit à présent être porté au niveau européen.
En ce qui concerne cette annonce du sénateur Duplomb, nous n’y sommes pas : nous verrons le cas échéant ce qu’il proposera exactement, mais si des critères limitatifs viennent encadrer strictement cette proposition, de sorte que la réintroduction ne soit qu’une solution temporaire et de dernier recours, dans ce cas le soutien à nos agriculteurs et le maintien de filières pour garantir notre souveraineté alimentaire se justifie.