Nathanaël Wallenhorst, Chercheur : "Si on reste sur la même trajectoire climatique, les sociétés explosent”.

Dans son ouvrage « 2049, ce que le climat va faire à l'Europe », Nathanaël Wallenhorst, chercheur en sciences de l'environnement et membre de l'Anthropocène Working Group, propose une projection concrète de l’évolution de nos sociétés à l’horizon 2049 si la Terre franchissait les principaux points de basculement.

2049, c’est l’image du monde si l’on reste sur la trajectoire climatique actuelle. 

Pourriez-vous expliquer ce que sont les points de bascule ? 

C’est un concept qui vient à l’origine d’autres champs disciplinaires, notamment des sciences sociales pour comprendre les phénomènes de ségrégation. Puis les sciences du climat s’en sont emparées pour exprimer l’idée d’un passage d’un état à un autre sans retour en arrière possible. Au départ, ce terme a été utilisé lors d’interviews de chercheurs, puis une carte a été esquissée, des articles ont été écrits sur ce sujet et on est entrés dès 2008 dans une conceptualisation. 

Le Global Tipping Point Report de 2023 piloté par Timothy Lenton (Université d’Exeter), est un document de synthèse qui fait un état des lieux de la littérature sur la question des points de bascule. En fait, c’est un concept qui fait image pour transmettre une réalité géophysique.

L’un de ces points de bascule a t-il d’ores et déjà été atteint aujourd’hui?

Un article vient de paraître dans le Monde et il semblerait qu’un premier point de bascule ait été atteint avec le « dépérissement généralisé » des coraux.

Pour dire qu’un point de bascule a été atteint, c’est toujours un exercice délicat car le système Terre est complexe, et il y a toujours de l’incertitude au cœur du travail de modélisation scientifique.

Aujourd’hui, nous approchons dangereusement de ces points de bascule, ce qui amène la communauté scientifique à alerter de plus en plus fort.

Quelles sont les différences avec les limites planétaires ?

C’est le même type d’épistémologie, c’est à dire des chercheurs en science du système Terre qui font aussi un travail de communication pour produire des savoirs à l’adresse des citoyens du monde entier afin d'accompagner l’action publique.

L’article fondateur des limites planétaires a été écrit en 2009 par Johan Rockström, il  mobilise un champ lexical pour expliquer que si l'on transgresse les seuils que sont les Tipping point, il y a un danger. A peu près au même moment est créé l’Anthropocène Working Group, entité de la Commission Internationale de la Stratigraphie, dont le rôle est d’analyser les preuves éventuelles d’une nouvelle époque géologique.

En 2000, Paul Crutzen, chimiste de l’atmosphère, Prix nobel de chimie en 1995, va dire qu’on est en Anthropocène.

Puis en 2015 un article imparable écrit par J.Rockström est publié dans la revue Science, il n’y a plus 9 limites et 9 seuils mais un ensemble plus complexe corrélé avec des seuils régionaux.

Vous parlez de la prise de contrôle du monde par les milliardaires. En France, ce phénomène est beaucoup moins visible et pourtant réel. Selon vous, peut-on lutter contre cette prise de pouvoir et comment ?

Selon moi il y a deux leviers d’actions. D’abord, on pourrait instaurer un écart maximum entre les salaires, et être milliardaire ne serait plus possible.

Ensuite, il faudrait instaurer des quotas à la consommation, c'est-à-dire que chacun aurait le droit de consommer la même chose. Etant donné que nous sommes à un moment où c’est une question existentielle qui est en jeu, pour pouvoir préserver les libertés publiques et la liberté de conscience, il va falloir limiter les libertés privées.

Vous prônez une refonte constitutionnelle et législative. On le voit dans les décisions récentes de justice climatique internationale, le droit et la science sont extrêmement liés s'agissant de la question climatique. Quels sont selon vous les points essentiels dégagés par la science que doit prendre en compte le droit ? 

Si on reste sur la même trajectoire climatique, les sociétés explosent.  Si on veut préserver la vie humaine en société, il faut des lois qui aient la force suffisante pour contenir l’emballement du système Terre. Pour que juridiquement ce soit suffisamment fort, il faut que le critère de jugement politique soit le bon. Or pour l’instant, on a affaire à une multitude d’actions pour la planète mais sans une vision macro, celle de préserver la vie humaine en société. Nous sommes dans un moment où on risque de sortir de l'inter glacière pour aller vers une trajectoire de planète étuve. Il y a en effet le risque de franchissement d’un seuil systémique vers + 2°C qui embarque la Terre sur une trajectoire incompatible avec la vie humaine en société. Le drame, c’est que même si les activités humaines cessent d’émettre des gaz à effet de serre, les grands ensembles forestiers bruleraient, le permafrost fondrait, les océans continueraient de chauffer. Le risque est donc celui d’un effet domino entre les différents éléments qui structurent le système Terre, qui seraient alors les principaux émetteurs de gaz à effet de serre.

Cela pose la question de la liberté de façon démocratique, il s’agit de ré encastrer l’exercice des libertés dans les limites planétaires. Ici le modèle des limites planétaires pourrait être intégré dans nos Constitutions en traçant une limite à ne surtout pas dépasser.

En somme, vous estimez qu'un changement radical doit être opéré à plusieurs niveaux : dans la sphère privée nos modes de consommations, dans la sphère publique nos systèmes politiques, économiques doivent être réinventés. A quoi ressemblerait la société de demain idéale selon vous ?

Cela appelle une vision du monde et de la société. Selon moi il est important de positionner la question des savoirs et des controverses, car les savoirs sont la seule médiation qu’on a pour être en prise avec le réel. Ensuite, il faudrait adopter une loi qui interdise la publicité, et une loi qui sépare clairement le public du privé, car aujourd’hui il existe un détournement de la puissance publique au profit de la puissance privée. Etc.

Notre monde actuel est caractérisé par une maximisation des intérêts individuels, et cette vision du monde est néfaste.

« On arrête qui ? On arrête quoi ? On arrête quand ? ». Qu'entendez-vous par ces trois questions ?

Ce sont des questions qui nous aiguillent pour orienter nos réflexions. J’espère pouvoir vivre dans un monde dans lequel l’industrie du luxe n’existerait plus, où la production vestimentaire serait réglementée, etc. Où les GAFAM tel que Google, Facebook, Amazon qui ont une empreinte environnementale très importante, seraient règlementées. J’espère aussi que l’on ne sombrera pas dans l’obscurantisme caractérisé par une diminution de la production des savoirs. 

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