Colloque A l’assemblée nationale sur les droits de la nature
J'ai eu le privilège d'assister au colloque sur les droits de la nature qui s'est tenu à l'Assemblée nationale le 30 avril dernier, à l'initiative de Charles Fournier, Député de la première circonscription d'Inde et Loire.
Pour la première fois étaient réunis des élus, des juristes et des collectifs dans ce lieu symboliquement fort de l'Assemblée nationale, afin d'oeuvrer à la reconnaissance de droits fondamentaux aux entités naturelles.
Il y était question de reconnaissance des droits de la nature portée par des voix européennes, par des voix françaises, à travers l'étude des mécanismes juridiques à l'oeuvre afin d'aboutir à une telle reconnaissance.
Retour sur cette journée riche d'enseignements sur ce sujet primordial des droits de la nature.
Les voix européennes pour les droits de la nature : l'exemple de la lagune Mar Menor
L'Espagne est le premier pays européen à reconnaître la personnalité juridique à une entité naturelle, la lagune Mar Menor, plus grande lagune d'eau salée d'Europe située dans la commune autonome de Murcie. Alors qu'en 2019, des milliers de cadavres de poissons asphyxiés sont retrouvés à la surface de la lagune, un mouvement social est initié sous l'impulsion de Maria Teresa Vincente Gimenez, Professeur de philosophie du droit à l'Université de Murcie.
C'est une procédure bottom up, des citoyens vers les institutions, qui va aboutir à l'adoption par le Parlement espagnol de la loi du 30 septembre 2022 reconnaissant à la lagune Mar Menor la personnalité juridique pour lui permettre de défendre ses droits à exister devant les juridictions. Concrètement, toute personne peut défendre la Mar Menor en justice.
Suite à l'adoption de cette loi, le parti politique d'extrême droite Vox avait intenté un recours devant le Tribunal constitutionnel espagnol afin de la faire annuler au motif qu'en attribuant la personnalité juridique à une entité naturelle, la loi avait assimilé une lagune à un être humain. Par une décision du 20 novembre 2024, le Tribunal constitutionnel a confirmé la constitutionnalité de loi.
Selon Eduardo Salazar Ortuno, avocat, docteur en droit et professeur à l'Université de Murcia, la Cour constitutionnelle espagnole a déduit de la Constitution un nouvel outil pour reconnaître la transformation d'une entité naturelle en sujet de droit. Le juge espagnol a regardé hors de ses frontières, et a constaté à travers le dialogue des juges qu'en droit international, nous passons d'un monde anthropocentré à un écocentrisme modéré.
Le Tribunal constitutionnel en a tenu compte et en déduit que le bien être des personnes humaines dépend du bien être des écosystèmes qui « soutiennent la vie ».
Des entités naturelles comme sujets de droit : les voix françaises oeuvrant pour leur reconnaissance
Selon Marine Yzquierdo, avocate et membre de Notre Affaire à Tous, lorsqu'on parle de droits de la nature en général, on parle de reconnaître des droits fondamentaux aux entités naturelles.
L'Equateur fait figure de proue en la matière, car il a reconnu en 2008 dans sa Constitution les droits de la Terre.
Ainsi l'article 71 de la Constitution équatorienne dispose que « La Nature ou Pacha Mama, où se reproduit et se réalise la vie, a le droit à ce que l'on respecte intégralement son existence et le maintien et régénération de ses cycles vitaux, sa structure, ses fonctions et ses processus évolutifs ».
Depuis 2015 le juge constitutionnel équatorien a eu l'occasion de se prononcer sur des affaires concernant les droits de la nature.
Dans le premier arrêt rendu en 2015 où la Cour constitutionnelle a été appelée à interpréter les droits de la nature consacrés dans la nouvelle Constitution, il s'agissait d'une ferme d'élevage de crevettes dans une exploitation privée dont l'autorisation avait été retirée par l'autorité environnementale au motif que la mangrove sur laquelle elle avait un impact avait le statut d'aire protégée. La Cour a rappelé que la mise en balance des droits de la nature les fait prévaloir sur le droit de propriété et l'intérêt économique d'un individu, affirmant que l'Equateur a adopté « une vision biocentrique qui donne la priorité à la nature, par opposition à la conception anthropocentrique classique dans laquelle l'être humain est le centre et la mesure de toutes choses, et où la nature est considérée comme un simple fournisseur de ressources ».
Dans l'arrêt Los Cedros rendu en 2021, il s'agissait de concessions minières attribuées par le Gouvernement d'Equateur à une société minière nationale, contestées par des associations environnementales jointes aux communautés locales.
La Cour constitutionnelle équatorienne a estimé qu'en appliquant les droits de la nature, les standards de protection étaient plus élevés, et elle en déduit la violation des droits de la nature de la forêt protégée de Los Cedros, en tant que droits subjectifs, en plus du droit à un environnement sain, du droit à l'eau et à la consultation environnementale.
Selon Alexandre Zabalza, professeur de droit privé à l'Université de Bordeaux, l'entrée dans les problématiques du droit de la nature doit se faire par le collectif. Les droits de la nature sont un changement de paradigme, et pour pouvoir donner des droits à une entité naturelle, il faut une personne juridique : une association dont l'objet sera de préserver cette entité et qui va la défendre. A une responsabilité collective, il faut une réponse collective, et l'association va permettre de rassembler cette question de commun.
Selon Marie-Angèle Hermitte, directrice honoraire de recherche au CNRS et directrice honoraire d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, un changement de perspective est nécessaire pour accorder la personnalité juridique aux entités naturelles.
Dès 1909, le Professeur René Demogue concevait la personnalité juridique comme le cœur du droit, le droit serait un système de lutte contre les souffrances.
Sans personnalité juridique, l'entité naturelle n'existe pas de manière autonome. Il faut donc une entité tierce qui puisse parler en son nom, passer des contrats et revendiquer ses droits en justice. « Je suis l'oiseau mazouté. Eux c'est nous, nous c'est eux ». Tel est le changement de paradigme proposé par Marie-Angèle Hermitte.
C'est dans cette optique qu'une demande formelle de mission d'information parlementaire a été adressée à l'Assemblée nationale, afin d'évaluer le mécanisme d'intégration des droits de la nature dans le droit français, et que des propositions citoyennes de lois à venir ont été remises officiellement aux Députés Charles Fournier, Lisa Belluco et Chantal Jourdan.
A l'instar de l'Equateur, de la Bolivie, de la Nouvelle-Zélande, de l'Australie, de l'Espagne, une révolution juridique s'opère en France pour aller vers une reconnaissance de droits fondamentaux aux entités naturelles, portée par des voix qui ont été entendues à l'Assemblée nationale.