Conférences de l’universite de la terre : Nature = Futur

J'ai eu la chance d'assister les 14 et 15 mars derniers à la 20ème édition des Universités de la Terre qui avait lieu à l'Unesco, sur le thème Nature = Futur.

Rassemblant des intellectuels, philosophes, scientifiques, dirigeants économiques, militants écologistes, le thème central de cette édition était de réfléchir à un autre modèle de civilisation qui permette d'allier progrès et respect du vivant.

Mon retour personnel de ces deux journées riches intellectuellement qui m'ont fortement impactée.

De ces conférences, j'en retiens personnellement deux choses qui m'ont particulièrement marquée :

  1. Un appel à l'éveil des citoyens, politiques, entreprises à sortir de l'état d'hypnose collective dans laquelle nous nous trouvons, ce que le philosophe hongkongais Jianwei Xun appelle « hypnocratie »,

  2. Une volonté d'essayer d'autres modèles alternatifs en dépit des obstacles et du système actuel capitaliste extractiviste solidement établi, avec cette idée de la nécessaire contribution de chaque individu à sa petite échelle.

    « Je ne sais pas si ça va marcher, mais j'essaye ». C'est une phrase que j'ai beaucoup entendu et qui révèle le courage de ces femmes et hommes engagé-es. Un refus du fatalisme et de l'abandon au sentiment d'impuissance.

Bref décryptage des conférences auxquelles j'ai pu assister :

  • Conférence Nature = futur : penser et agir pour un monde vivable

Pour poser les bases de cette conférence, Philippe Descola, Professeur émérite du Collège de France, explique que le terme Nature n'existe que dans les langues européennes, il n’y a pas de terme équivalent en chinois ou en japonais.

Nous avons inventé et généralisé l'emploi de cette notion avec l'idée que la Nature serait une chose, ce que P. Descola appelle le système naturaliste. Ce système a traité les lacs, les montagnes, les forêts comme des ressources et les a transformé en marchandises.

Cette façon de concevoir la Nature a conduit à la destruction des écosystèmes, nous avons alors pris conscience qu'une perte irréversible était en cours.

Pour sortir de cette boucle autodestructrice, P. Descola propose de re subjectiver les autres non humains et de tisser un lien basé sur la connaissance.

Ce lien pourrait être juridique si l'on opère une révolution juridique : celle de transformer les sujets de la Nature en sujets de droit, à l'instar de la Nouvelle Zélande qui a donné la personnalité juridique à la rivière Whanganui.

Une telle révolution juridique aurait des effets importants en ce qu'elle transformerait le rapport des êtres humains avec leurs milieux de vie et donnerait aux humains une place subalterne.


Selon Baptiste Morizot, écrivain et maître de conférence en philosophie à l'Université d'Aix-Marseille, il existe une contre révolution qu'il ne faut pas négliger : celle du déni du changement climatique.

Dans des régions frappées par des catastrophes naturelles liées au réchauffement climatique, on observe un basculement dans des votes d'extrême droite et un rejet des partis politiques écologistes.

Selon B.Morizot, l'explication se trouve dans la notion de pulsion politique clef : la raison de ce basculement vers les votes d'extrêmes droite réside dans l'idée qu'il existerait un système faisant passer des personnes moins légitimes avant.

En proposant une pulsion alternative, les individus pourraient à l'inverse s'allier contre l'économie extractiviste.

  • Conférence : Un destin commun pour les vivants

Pour Corine Pelluchon, professeur de philosophie politique et d'éthique appliquée à l'Université Gustave Eiffel, notre modèle actuel est caractérisé par une logique de domination sur le vivant. Si l'on ne sort pas du narcissisme collectif dans lequel nous nous trouvons, nous allons vers l'autodestruction.

Le sentiment d'être mortels et impuissants pousse les individus à utiliser des mécanismes de défense : les addictions, la polarisation, le fait d'élire un chef charismatique qui va nous faire penser que nous sommes supérieurs aux autres.

Pour C. Pelluchon, il faut insister sur la gratitude et non le ressentiment, sur notre capacité à l'émerveillement, pour mieux se détacher du sentiment d'impuissance.

Nous traversons de plus une crise du sens : nos vies n'ont d'horizon qu'individuellement, alors qu'il existe aussi un monde commun à préserver.


Selon Matthieu Ricard, moine bouddhiste, humanitaire et auteur, nous vivons une épidémie du narcissisme, alors que l'interdépendance et l'altruisme se présentent comme des nécessités dans le monde actuel.

Il insiste sur l'idée d'harmonie durable : apprendre à faire mieux avec moins.

A l'instar du Boutan dont le roi avait inventé le Bonheur National Brut, M. Ricard prône une manière de voir fondée sur un développement qualitatif et non pas quantitatif.

Notre seul espoir se trouve dans la coopération, l'altruisme, la considération d'autrui.

L'économie doit être au service de la société et non pas l'inverse.


Ces deux journées de conférences ont suscité en moi une très forte envie d'agir à l'échelle professionnelle mais aussi personnelle. Ces hommes et femmes engagé-es sont déterminé-es. On les entend sans doute moins que d'autres personnalités qui portent la voix du déni climatique, mais leur volonté d'agir est contagieuse et elle fait peur au mouvement réactionnaire qui veut amplifier la destruction de la planète. Selon Philippe Descola, ce mouvement réactionnaire a perçu que l’écologie politique a un côté révolutionnaire qui peut mettre fin au capitalisme.

En réponse à une question percutante posée par Nathanaël Wallenhorst, professeur à la faculté d'éducation de l'Université catholique de l'Ouest : “On arrête qui ? On arrête quoi ? On arrête quand ?”

Est-ce qu'on arrête l'industrie du luxe ? Les GAFA ? Les transports aériens? A chacun de se poser individuellement la question, car tout ne passera pas.

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